Parole

Publié le 19 Mai 2015

Je la regardais, je ne bougeais pas, j’affichais un demi-sourire figé. Je n’acquiesçais jamais quand elle guettait un signe approbateur. Elle m’avait dit : « Auguste, je ne suis pas sûre d’y arriver. » Déjà fatigué, j’avais soupiré discrètement avant de demander à quoi. « Nous deux. Ce n’est pas le bon moment pour moi. C’est trop et je ne suis pas prête. Je ne peux pas m’investir émotionnellement. » C’est sans doute à partir de cette phrase que j’ai lâché, que j’ai cessé de l’écouter. Je n’en avais pas besoin, je regardais ses lèvres bouger, j’étudiais intérieurement mon propre désir de l’embrasser. Je me demandais ce qui me poussait vers cette bouche qui cherchait en ce moment toutes les excuses pour ne plus rencontrer la mienne. Quelle était la connerie qu’elle m’inventait à cet instant ? Je ne sais pas lire sur les lèvres et je ne saurais dire si elle invoquait sa récente rupture, la charge de travail qui l’accablait ou son besoin de plus de solitude. Je pourrais retranscrire avec exactitude ce qu’elle m’a dit ou inventer un nouveau discours, je ne m’éloignerais pas plus de la vérité. Elle bafouillait : « tu m’en demandes trop », j’entendais : « je ne t’aime pas assez ». Elle me rassurait : « c’est juste trop tôt pour que je commence quelque chose », j’entendais encore : « je ne t’aime pas assez ». Elle pleurait en expliquant qu’elle n’avait pas le temps de voir quelqu’un, que son travail était trop prenant et j’entendais toujours au milieu de ses larmes que son amour pour moi n’était pas assez fort. Je n’étais pas en colère, je passais ma main sur sa joue, j’embrassais ses larmes et lui disais que je la comprenais. J’ai toujours dit aux femmes que je les comprenais et je ne pense pas que ce soit vraiment un mensonge. C’est pour cette raison qu’elles m’ont aimé, sans doute aussi pour cela qu’elles ne m’aimaient pas suffisamment. Je ne leur en veux pas. Comment en vouloir à quelqu’un de ne pas vous aimer ? Je ne souffrais que de leur incapacité à admettre la simple vérité, de leur besoin de trouver des excuses compliquées. Mais là encore, je ne saurais leur en tenir rigueur : elles croyaient fermement aux platitudes qu’elles m’énonçaient. Même la semaine qui suivait - ou le mois – quand elles m’annonçaient avoir rencontré quelqu’un et que je devinais que cette fois, elles seraient prêtes, je ne m’abaissais pas à pointer du doigt le paradoxe. Je suis sûr qu’elles se seraient trouvé une nouvelle excuse. Ou elles auraient été gênées ; à quoi bon les embarrasser si elles ne m’aiment pas ?

Rédigé par Théo Auguste Marie

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